Succès, difficultés, perspectives : le proviseur du lycée de Forécariah à cœur ouvert !

La préfecture  de Forécariah s’est démarquée cette année par des succès « francs » aux différents examens nationaux notamment au Baccalauréat unique. Des résultats encourageants qui sonnent comme un défi pour cette localité où  l’enseignement demeure encore confronté à « la faible participation des parents dans l’éducation des enfants et à la floraison des centres de loisirs. »
Dans cette interview,  le proviseur du lycée de Forécariah, Moussa Touré, connu sous le sobriquet de  Pythagore, parle non seulement des réformes qui ont facilité les succès en 2023 mais aussi des facteurs qui entravent aujourd’hui la qualification massive de l’enseignement et de tout le système dans cette ville.

www.ledeclic.info : Comment se porte l’enseignement aujourd’hui au lycée Forécariah ?

Moussa Touré : on vous dira que les choses marchent bien. En témoignent les résultats des examens nationaux notamment le Baccalauréat unique session 2023. Si vous prenez la Terminale Mathématiques,  on a présenté 50 candidats. Sur les 50 candidats,  il n’y a que 2 qui ont échoué,  une fille et un garçon.  En terminale Expérimentales, nous avons présenté 136 candidats dont 96 admis. En terminale Sciences sociales, nous avons présenté 162 candidats dont 82 admis. Donc avec ces statistiques, vous comprendrez que le lycée Forécariah se porte bien.

Qu’est-ce qui a favorisé ces résultats ?

Ce sont des cours de remédiation notamment. Entendez par cours de remédiation, l’intervention des professeurs dans les disciplines où le bât blesse. On avait fait le diagnostic après les examens blancs,  qui nous a permis de comprendre que les enfants ont des difficultés dans telle ou telle matière. Alors nous avons mis en place une organisation interne. Nous avons fait une sorte de semi – internat, qui permettait aux enfants d’étudier jusqu’à 17h. Et le canevas, c’était quoi ? Il s’agissait de demander aux enfants eux-mêmes,  qu’est-ce que vous pouvez faire pour motiver, encourager ces professeurs ? Librement,  ils ont décidé, chacun des candidats, de donner quelque chose. Moi-même j’ai récupéré,  j’ai ajouté ce que je pouvais ajouter et j’ai remis aux enseignants.  Les enseignants ont posé leur condition, qui est de venir travailler avec les candidats conformément à notre canevas de travail. Ce que j’ai accepté. C’est ce qui a fait que cette année, il y a eu cette particularité. Parce que quand les professeurs venaient, ce n’était pas pour développer les cours pédagogiques seulement,  mais pour respecter nos exigences, qui consistaient d’abord à apprendre aux élèves à se comporter face à un sujet. Quand le sujet est posé, quelles sont les attitudes que le candidat doit avoir. Donc, cela nous a permis d’apprendre aux enfants comment faire un traité de sujets. Les candidats étaient eux-mêmes au centre de la chose.  Ainsi, après chaque passage d’un professeur, je venais faire un sondage de satisfaction auprès des élèves qui me disaient ce qui est fait et ce qui leur manque maintenant.  Donc la prochaine fois qu’on planifie tel professeur,  il viendra juste pour baliser ce qui n’a pas été fait. Cela nous a permis également de faire appel à d’autres compétences dont des fils de Forécariah,  qui ont étudié ici mais qui évoluent maintenant ailleurs comme à Conakry,  Kindia ou Dubréka. C’est pourquoi dans certaines matières, vous verrez que ce ne sont pas les professeurs qu’on avait sous la main qu’on a utilisés,  mais de tierces personnes venues d’ailleurs. Et cela a continué jusqu’à la veille du bac. Voici la stratégie que nous avions pu mettre en place, moyennant zéro franc de qui que ce soit.

Les progrès ne doivent pas cacher certaines réalités. Plusieurs personnes témoignent que le niveau d’étude hier était plus performant et poussé que celui d’aujourd’hui.  Qu’en dites- vous ?

Hier, les parents s’intéressaient un peu à l’éducation des  enfants. Je suis dans ce système- là depuis plus de 23 ans. Je suis à Forécariah. Et je n’ai fait aucune autre activité sinon que l’encadrement des enfants,  l’éducation… Mais aujourd’hui,  il faut se dire la vérité. Les parents ont totalement démissionné de l’éducation des enfants. Totalement.  Donc ça fait que même les résultats, ils sont incapables de venir les chercher en fin d’année. Je vous assure que je viens de proclamer les résultats de composition de passage  intermédiaire,  mais aucun parent n’est venu. J’étais obligé d’afficher les résultats devant ma maison. Comme ça celui qui vient, il se les approprie. Voilà le problème. 

Qu’en est-il des autres acteurs éducatifs de la ville ?

Les acteurs qui doivent appuyer les enseignants,  qui doivent appuyer le système éducatif ont complètement démissionné.  Alors que c’est un travail réparti . C’est le rôle régalien des trois acteurs. Le gouvernement fait sa partition, l’élève également,  mais si les parents ne le font pas , c’est un problème. Donc aujourd’hui,  le plus grand problème du système éducatif dans la préfecture de Forécariah,  c’est la démission des parents.

En dépit de ce désengagement des parents, est-ce qu’il y  a d’autres facteurs qui affectent l’école dans la ville de Forécariah ?

En effet, oui. C’est la prolifération des lieux de loisirs. De par le passé,  il y en avait plus que deux. Pas plus que deux. Mais aujourd’hui, les centres culturels, les dancing, les hôtels ou autres  prolifèrent à tout moment, en tous lieux  et ça joue 7 jours sur 7. Sans réglementation. Vous imaginez ce que ça fait sur la vie d’un adolescent.

Est-ce que vous aviez entamé des démarches auprès des autorités préfectorales pour y faire face ?

Pratiquement,  nous n’avons pas fait. Mais avec le préfet actuel de Forécariah,  qui s’intéresse beaucoup à la vie scolaire, nous comptons, cette année,  aller vers lui pour pouvoir réglementer un peu ça. Et en même temps, comme il y a actuellement une direction de la culture,  nous allons aussi saisir cette direction afin de réglementer un peu les concerts, les manifestations culturelles ou toutes autres choses qui jouent sur l’apprentissage.

Vous vous réjouissez de ce qui semble être le bel élan pris avec les résultats de cette année. Mais qu’est-ce que vous préconisez pour maintenir le rythme et amplifier les réussites ?

L’année dernière,  j’ai initié quelque chose que je n’ai pas pu continuer. C’est ce que je voudrais renforcer cette année. Il s’agit de la mise en place d’un document de liaison avec les parents. C’est-à-dire, par exemple,  l’élève qui est admis pour le Brevet, ne sera installé que quand il se fait accompagner par son parent.  Alors quand ils viennent, j’ai le temps de prendre les renseignements relatifs au parent notamment le quartier où il habite, son numéro de téléphone pour que si cet enfant vienne à s’absenter, je puisse avoir recours à ses parents pour savoir qu’est-ce qu’il a. Parce que le parent qui ne vient pas déclarer par exemple que son enfant a un problème de santé ou ceci ou cela, je l’interpelle pour savoir qu’est-ce que l’enfant fait et qu’est-ce qui l’a amené à s’absenter. Un, deux ou trois cas comme ça, tout de suite on peut prendre des mesures juste pour que l’élève abandonne ce comportement. Donc ce sera pour nous une façon de faire venir les parents sur le lieu d’apprentissage des enfants. Parce que s’ils acceptent de nous accompagner,  nous serons meilleurs que cette année.

Propos recueillis par Gassime Fofana

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