Dr Mamadou Lamine Bah :  » la météo est un levier pour le développement socioéconomique »

C’est un constat qui s’impose à tous. Que ce soient les pays développés ou ceux en développement, tous subissent soit des inondations, soit des sécheresses, soit des tempêtes, … Des catastrophes que les spécialistes imputent aux variations des conditions climatiques. Dans cette interview,  Dr Mamadou Lamine Bah, ancien Directeur national de la météorologie de Guinée et ancien membre du Conseil météorologique international met l’accent sur le système météo de manière générale ainsi que sur son importance et les problèmes liés au développement du service météo en Guinée.  

www.ledeclic.info : Tout d’abord, que sait-on de la météo et à quoi elle a servi notamment en Guinée ? 

Dr Mamadou Lamine Bah : la météorologie moderne a été créée au temps des explorateurs coloniaux et des conquérants. C’est ce que nous considérons comme le début des observations météorologiques. Et depuis lors, il y a eu un réseau météorologique qui observait les phénomènes au jour le jour. Ainsi on a essayé de concentrer d’immenses quantités d’informations,  et ce sont ces informations qui sont traitées et qui nous permettent de savoir de combien de degrés ou de dixième de degrés le climat a changé. Donc nous avons essayé de faire ça avec les générations qui se sont succédés.

 Et lorsqu’ici, en Guinée, j’étais aux commandes de la direction nationale de la météo, mon rôle était d’organiser ces informations de manière à ce que lorsque vous venez au service et que vous avez besoin des services météorologiques de n’importe quelle localité de la Guinée, vous avez juste quelques minutes pour qu’on puisse vous sortir ces informations.  Et toutes les stations, ce sont généralement des stations de routine. Mais à travers les partenaires,  le programme des Nations unies, les organisations internationales et le gouvernement,  nous avons essayé de moderniser ce réseau météorologique. Nous avons essayé également d’automatiser l’ensemble de ce réseau de telle sorte que vous pouvez être à N’Zérékoré ou à Lola, en Guinée forestière, les informations peuvent nous parvenir en quelques secondes au niveau de la Direction national de météo.

Quelle analyse faites-vous du système météorologique de Guinée et celui des autres pays en général ? 

En fait, il n’y a pas un système particulier en matière de météorologie. Nous essayons de combiner un certain nombre d’éléments qui constituent un système climatique.  D’abord,  il y a la géographie,  il y a l’astronomie qui se manifeste à travers le mouvement apparent du soleil du sud au nord, et enfin, il y a la circulation générale de l’atmosphère.  Donc ce sont ces trois éléments combinés plus maintenant le relief, c’est-à-dire la géographie en particulier qui donnent un climat particulier à une région. En Afrique en général,  le système climatique que nous simplifions, se manifeste à travers deux saisons : la saison sèche , au cours de laquelle la Guinée est balayée par un air sec, c’est-à-dire l’harmattan et la saison pluvieuse, c’est-à-dire la mousson. C’est l’air humide qui remonte sur le continent.  

Maintenant, comme dans une zone de guerre, il y a un affrontement entre les masses d’air : les masses d’air humide et les masses d’air sec. Ce sont les masses d’air sec qui se rencontrent et qui font des mouvements au – dessus de notre région et la Guinée en particulier.  C’est ce qui fait que nous avons, pendant l’harmattan, la saison sèche voire pratiquement début novembre jusqu’en avril, et d’avril jusqu’à la fin de la saison pluvieuse vers octobre.  C’est donc la  particularité de l’Afrique de l’Ouest. 

Quel rôle joue la météo dans le progrès d’un pays ? 

Je rappelle que la population ou les dirigeants ne s’intéressent toujours  pas à la météo. Sinon c’est un levier pour le développement socioéconomique et culturel.  Pourquoi ? Lorsque vous prenez, par exemple, une femme qui nous envoie des produits maraîchers de Mamou, région de Moyenne Guinée, elle est obligée normalement de tenir compte des informations météorologiques, des connaissance du climat pour pouvoir emballer ses produits à partir de Mamou. Arrivée à Conakry, la même chose. Mais malheureusement, lorsque vous partez à Matoto, commune de Conakry, vous trouvez qu’il y a beaucoup de produits pourris que de produits à vendre, parce qu’on ne tient pas compte des conditions de météo entre Conakry et Mamou. Les différences de température sont très élevées de telle sorte que lorsque pour emballer, la femme met ses tomates dans un panier. Arrivée à Conakry,  en ouvrant, on se rend compte que c’est déjà dégradé. 

Par contre, avec nos parents, lorsqu’ils quittaient, venaient vers la Basse Guinée ou la Guinée Forestière pour acheter la cola, ils prenaient le soin d’emballer avec des feuilles. Et là,  la cola pouvait rester dans ce panier pendant une année ou plus. 

En ce qui concerne le développement économique, tous les barrages qui sont construits en Guinée y compris toutes les infrastructures en construction ne se font pas sans les informations météo,  parce que lorsque vous devez dimensionner vos caniveaux, vos routes ou les barrages, c’est en fonction des informations de la pluviométrie, de la température et autres. Malheureusement, on débloque des milliards pour faire un tronçon de route, 5 ans après on dit que la route- là est impraticable.  C’est parce que généralement, lorsqu’on fait les appels d’offre,  ceux-là qui postulent, au lieu de venir chercher des informations réelles sur le terrain, ils préfèrent travailler ainsi. 

Quels sont alors concrètement les problèmes liés à la météo en Guinée ? 

Le problème numéro un aujourd’hui,  c’est le suivi de la météorologie. Le bâtiment qui abrite les informations dont je vous ai parlé est détruit. Et à travers les partenaires,  on a obtenu un projet, qui consistait à renouveler l’ensemble de ces informations. Toutes les stations et tous les réseaux météo guinéens ont été renouvelés. Mais malheureusement,  tous ces projets ont été détruits. Donc la direction de la météo aujourd’hui peine à trouver un endroit, même un magasin de stockage pour envoyer des informations. Ensuite, du point de vue du développement de la météo Guinée, la météo guinéenne a été pendant ces 20 dernières années au top. Et pendant huit ans, nous avons réussi à prendre la Direction du Service Météo d’Afrique, dont j’étais le président du conseil régional de l’Afrique toutes ces années; toutes les décisions météorologiques de l’Afrique relevaient de moi. Et pendant 20 ans, la Guinée a été membre de la plus haute organisation du conseil de sécurité météorologique mondiale. Mais malheureusement,  depuis 2021, on a quitté ces organismes. Maintenant, il y a besoin de trouver de nouvelles relations parce que les impacts météorologiques  qu’on observe depuis chez nous sont visibles aujourd’hui sur le pays. 

De quoi le système météorologique de Guinée a donc besoin aujourd’hui pour son évolution ? 

La météo guinéenne a besoin d’un soutien fort des autorités. Si vous prenez la météorologie du Maroc,  du Sénégal et celle de la Côte d’Ivoire,  ce sont des pays où les services météorologiques bénéficient d’un soutien très fort de la part des autorités.  C’est pourquoi d’ailleurs, les Ivoiriens ont réussi a incorporer la météorologie dans la Culture du cacao, du thé ou du manioc. Et au niveau du Sénégal aussi, ils ont réussi à s’adapter aux phénomènes de changement climatique avec l’apport des autorités. Au niveau du Maroc, la météorologie est considérée comme un modèle avec les prévisions qui contribuent maintenant à la réduction des risques de catastrophe, c’est-à-dire tous les services météo doivent s’orienter vers la diminution des impacts des changements climatiques. 

Cette année,  selon les informations qu’on a répertoriées, on a plus de 20 personnes qui ont été foudroyées, et qui sont mortes. Donc il faut que les gens soient sensibilisés. Lorsque la météorologie détecte par exemple un foyer d’orage dans n’importe quelle région du pays, que les autorités soient informées pour prendre des dispositions.  Aujourd’hui,  chacun est avec un ou deux  téléphones  dans sa poche, allumé, et lorsqu’il y a un orage, c’est l’interaction entre les ondes électromagnétiques créée par la foudre et le téléphone. Pendant la saison sèche,  quand vous circulez à travers le pays, vous verrez que tout est incendié,  les feux de forêt. Ce qui constitue un moyen de dégradation de notre environnement, parce que ça change le climat ainsi que les précipitations. Et qui dit manque de précipitation, dit insécurité alimentaire, manque de ressources en eau, manque de barrages hydroélectriques. 

 

Propos recueillis par Gassime Fofana 

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