Les vérités d’un Guinéen de la diaspora : « Il faut mettre en place des passerelles entre le continent et l’Occident »

Nous avons rencontré un Guinéen de la diaspora pour évoquer les réalités de l’immigration et l’importance de la diaspora dans le développement du continent africain. Interview-vérité

Bonjour Alpha Diallo !

Bonjour

Présentez-nous votre parcours

Je suis arrivé en France en 2014. J’ai acquis deux diplômes de licence en Normandie :
Une en biologie médicale et la deuxième une licence professionnelle sur le génie des procédés environnementaux,  spécialisé en gestion et traitement des déchets.
Actuellement suis en Master Environnement à l’Université de Cergy en Eco-conception et gestion des déchets.

Quel est l’apport de la diaspora dans le développement de l’Afrique ?

Avant de parler de l’apport dans le développement de l’Afrique, je souhaite rappeler ici la définition de la diaspora. Le mot diaspora vient du grec qui signifie “dispersion” dont le sens dépend du contexte dans lequel il est placé ou employé. Selon la charte de la Commission de l’UA (Union Africaine), la diaspora africaine désigne « les personnes d’origine africaine vivant hors du continent africain, qui sont désireuses de contribuer à son développement et à la construction de l’Union Africaine, quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité », sur l’échelle nationale de chaque pays on a par exemple la diaspora guinéenne, malienne, ivoirienne, etc.
Et pour revenir à votre question de l’apport au développement, il faut savoir que la diaspora africaine est considérée comme étant la 6ème région économique de l’Afrique après les 5 autres (Ouest, Est, Australe et Centrale), et reste celle qui contribue le plus au développement du continent. Rien que pour celle qui réside en Europe, c’est 32,5 milliards d’Euros envoyés chaque année en Afrique et les chiffres ne font que grimper avec les flux migratoires que nous connaissons actuellement, c’est beaucoup plus que l’aide publique au développement du continent financé par toutes les organisations internationales.
La diaspora est perçue comme un modèle de réussite par ceux résidant sur le continent, il est un “go-between” entre l’Afrique et le reste du monde dans tous les domaines du développement: social, économique, culturel et politique dans presque tous les pays africains. Elle attire les entreprises étrangères vers le continent, tisse des liens en partenariat pour le développement de leur business que ce soit dans leur pays d’origine ou dans un autre.
La diaspora pourrait être très utile dans l’émergence des pays du continent par la réorientation des fonds destinés à la consommation pour en faire des investissements, à des groupements de personnes, des associations, des start-up, à des activités sociales et solidaires.

Au sein de la diaspora, peu de personnes retournent pour investir en Afrique, selon vous, qu’est ce qui explique cela ?

De mon point de vue, la question n’est pas le fait de retourner mais plutôt qui investit quoi ? dans quoi et pourquoi ? On peut bien vivre à Paris et investir à Johannesbourg ou résider à Montréal et investir dans une sous-préfecture de Lélouma. Il est vrai que la plupart des investissements de la diaspora se font dans l’entrepreneuriat, qui connaît ses freins sur le continent aussi notamment, sur la connaissance du marché dans lequel on investit, qui implique de connaître la culture du pays d’investissement, le niveau économique, il faut savoir personnaliser son offre et un autre problème plus important, le fait de ne pas être entouré forcément par des personnes compétentes et la confiance dans les relations partenariales. Malgré toutes ces remarques, y’a des diaspos qui investissent en Afrique et ça leur réussit très bien. Mais quand on les entend s’exprimer sur le sujet, on note entre autres dans leurs préoccupations, la sécurité des investissements qui pourtant, il faut le dire, est un point primordial car presque tous ceux qui démarrent une activité le font avec des fonds qui leur sont propres, tout simplement parce que les banques africaines ne sont pas prêteuses dans les 4 premières années d’activités.
Actuellement, c’est devenu une chanson que l’Afrique est le continent d’avenir, à cause de sa démographie exponentielle et le continent le plus en retard. De nos jours, l’Afrique, c’est 1,2 milliard d’habitants en majorité des jeunes de moins de 25 ans ; en 2050, c’est 2 milliards et en 2100, 1 humain sur 10 sur la planète sera Africain. Cela représente un grand marché de consommation qui pourrait attirer n’importe quel investisseur.

Quelle est donc selon la mesure pour remédier à cette situation ?

Même si tout le monde peut rentrer théoriquement mais tout le monde ne peut pas être entrepreneur et pour ceux qui ont la chance de l’être doivent voyager et s’emparer de la réalité du pays dans lequel ils investissent leur argent. Il faut mettre en place des passerelles entre le continent et l’Occident, prôner le commerce équitable pour que le producteur de fruits de Kindia puisse vendre ses ananas chez Carrefour. Ceci a un double avantage. D’un côté, ça permet à l’agriculteur de vivre de son travail et à la diaspora d’avoir envie de retourner investir sur la terre de leurs aïeux par exemple. A côté de cela faudra créer des réseaux et plateformes de discussions, organiser le plus souvent des forums pour évaluer et faire des profondes réflexions prospectives, identifier et créer des synergies entre acteurs impliqués dans l’entrepreneuriat pour partager les expériences de terrain.

Les entreprises sur le continent à la recherche de la poule aux oeufs d’or se doivent, dans leur politique de recrutement, de mener une opération de séduction, montrer aux jeunes qui veulent rentrer qu’ils peuvent bénéficier des mêmes opportunités d’évolution, s’épanouir dans leur travail, pas simplement vus comme des cadres faussés de l’Occident.

La solution “miracle” s’il faut le dire comme ça, c’est de donner de la valeur ajoutée aux produits africains en faisant de la transformation sur place de la matière première, que les métaux précieux ne soient pas extraits au Congo, vendus aux Etats-Unis, transformés en Chine et nous retourner comme des produits finis, téléphones et tout ce qui est matériel électronique, ça limitera l’immigration et nous épargnera des drames migratoires que nous connaissons avec les clichés et déchirement sur les plateaux télé et réunions internationales de crise migratoire avec des décisions fâcheuses.
Les pouvoirs publics sur le continent doivent rendre nos pays attractifs, mettre en place les dispositifs nécessaires pour suivre, évaluer et accompagner les investisseurs. Cela éviterait par exemple de toujours passer par le Palais présidentiel pour faire valoir son projet et pour son assurance de sécurité et celle de ses investissements.

Par quoi s’expliquent les difficultés de la vie des diaspos en Europe ?

La diaspora est au centre des intérêts parfois contradictoires. Les besoins des parents au pays augmentent soit par solidarité, accroissement de la famille, soit pour changer de mode de vie. De l’autre côté, les revenus baissent et la diaspora se doit s’investir dans des nouvelles formations pour retrouver du travail, acquérir des compétences infaillibles pour pouvoir conquérir un poste avec un citoyen du pays d’accueil ou quitte à accepter un travail rabaissant et mal payé pour assurer sa survie et celle de sa famille.
L’autre intérêt aujourd’hui tourne autour de l’agent qu’envoie la diaspora, le monde économique et politique s’active pour trouver un moyen d’utiliser cette manne financière jugée non productive pour en faire un outil de développement des économies africaines.
Parmi les difficultés,, y’a aussi le durcissement des législations dans les pays d’accueil pour contrôler, voire réprimer la migration, être assimilé à un voleur de travail ou d’être qualifié de profiteur de l’argent du contribuable, qui à mon avis, est très paradoxal parce que cette même immigration contribue au développement et à l’enrichissement du pays d’accueil. La vérité, elle est toute simple : c’est que quand vous augmentez la demande en consommation parallèlement il y a l’offre qui suit et pour continuer à satisfaire la demande, il faut recruter davantage.
L’un des problèmes majeurs est celui de la discrimination ou du racisme qui malheureusement existe encore dans nos sociétés et qui continue à me chagriner. Mais je dirais face à cela faut pas céder aux jugements faciles, car il est plus difficile de construire ou d’atteindre un but ; critiquer et rabaisser c’est facile je dirai même très facile, y’a que des occasions à mûrir et grandir qui existent.

Est-ce que là vous où vivez, y’a une mesure pour accompagner la diaspora dans les difficultés rencontrées ?

Ici en France pays dans lequel je vis depuis 4 ans, il existe des associations de diaspora selon les pays d’origine, ces associations accueillent, orientent et accompagnent les nouveaux arrivants légaux dans leur processus d’intégration et démarche administratives.
Pour les personnes se trouvant dans une situation irrégulière, il va falloir passer par le dispositif mis en place par les services de l’Etat, par les associations d’aide aux migrants, personnes de bonne volonté pour les accueillir et les accompagner dans leur processus.
Par exemple moi dans l’association où je suis actuellement en service civique TERRAFRIK Alternatives, on accompagne des associations des migrants subsahariens dans leur structuration, formation au montage des projets et dans leur recherche de financement des projets de solidarité ici en France et à l’international, aussi des associations qui travaillent avec des migrants pour leur intégration.

 Est-ce que vous êtes organisés à l’étranger, si oui comment ?

S’organiser à l’étranger dépend de chacun dans son organisation personnelle, à ménager du temps et de le consacrer aux autres dans le partage d’idées, d’expériences, défendre une cause, promouvoir ses activités et valeurs dans lesquelles on se reconnaît. Chacun selon ses aspirations peut adhérer à une association, à un réseau ou un groupe d’organisation ou tout simplement être initiateur des idées, des actions sociales, des activités divertissantes et faire adhérer les gens, tout dépend de la motivation et du niveau d’investissement. Moi j’ai adhérer à des associations guinéennes, participer à des organisations d’activités épanouissantes. Récemment au mois de d’avril dernier j’ai assisté à une rencontre des mouvements de jeunes Guinéens qui existent depuis des années en France et qui parlaient d’une éventuelle mutualisation dans leur actions sur le terrain à savoir en Guinée.

Vous êtes sur le sol étranger, comment vous sentez-vous avec leur mode de vie ?

Comme tout un étranger dans son pays d’accueil qui respecte les lois, les valeurs de liberté et d’égalité qui régissent les citoyens de son pays hôte. J’ai toujours estimé que c’était à moi d’adopter leur mode vie tout en gardant mon intégrité, les sensibiliser sur ma culture, mes origines pour essayer de changer les mentalités renflouer des clichés et mauvaises images qu’ils ont de l’Afrique.  »60 millions de personnes ne changeraient pas de mode de vie pour une personne mais c’est plutôt à la personne de s’intégrer dans les 60 millions”.
Je me sens très bien depuis mon arrivé en France, libre dans mes pensées et dans mes mouvements. Je bénéficie des mêmes droits que les Français et à moi d’accomplir mes devoirs comme tout autre citoyen.
Chacun a sa place dans la société française mais à vous de trouver la vôtre !

Est-ce que vous avez un espoir du retour de la diaspora pour changer l’Afrique en termes d’investissements et plus particulièrement en Guinée ?

On pourrait espérer et continuer encore durant un siècle, tant que dans les pays africains on ne crée pas les conditions d’un bon retour. Il y aura peu de gens qui vont retourner, si les morts sur le chemin de l’immigration, les conditions de vie de nos confères dans les pays occidentaux ne dissuadent pas les candidats à l’immigration. Ce n’est pas un simple appel au retour qui leur fera changer d’avis, quand les ressources migrent, les humains ne resteront pas immobiles. Je voudrais quand même souligner le courage de ceux qui étaient en Libye et sont retournés en Guinée grâce à l’appui de l’OIM et qui s’investissent dans l’assainissement des plages et certains axes de la ville de conakry. Ça m’a vraiment touché d’entendre les témoignages de certains en disant qu’ils sont fiers de rendre leur ville propre, qu’avant ils n’osaient jamais faire ce genre de boulot.
La création de l’APIP en Guinée a été une avancée pour attirer les investisseurs étrangers et même la diaspora mais des points restent à éclaircir notamment sur la fiscalisation par exemple, les impôts ainsi que les conditions de gestion des fonds et des prêts dans les banques. A cela s’ajoute la sécurité quotidienne des personnes physiques, de leurs investissements et le respect des contrats et engagements par l’État.

La diaspora investit en Afrique pour créer de l’emploi, générer des bénéfices et c’est très difficile à elle toute seule d’arriver à faire bouger les lignes dans le sens d’un développement promoteur vu que l’argent qu’elle envoie est destiné à la consommation, à satisfaire des besoins primaires vitaux. Je déplore que certains soient impliqués dans des malversations financières, des affaires de corruption d’agents publics pour tirer leur profits, ils n’apportent pas que des solutions. Je termine ma réponse par cette belle phrase de Aminata Traoré qui disait ceci: “ L’Afrique souffre d’une forme de crise de la pensée critique sur les questions de développement ”.

Vous venez de participer au forum de la diaspora, qu’est-ce qu’on peut retenir de cette rencontre ?

Le forum a été pour moi un espace de rencontre, de discussion entre acteurs économiques, des RH, gestionnaires des plateformes, porteurs des projets et chercheurs d’emploi pour partager leur expérience, leur vision pour l’Afrique et analyser les préoccupations de la diaspora sur les questions de retour, les investissements, le travail et les compétences.
Ce forum à été organisé sous le haut patronage de M. E. MACRON qui se veut très confiant dans la construction d’un nouveau partenariat entre l’Europe et l’Afrique par la promotion de l’entrepreneuriat et le développement des relations Nord-sud, pouvoir collecter des projets et monter leur cahiers de proposition au niveau européen.

Les questions de développement de l’Afrique ont – elles été au menu de la rencontre ?

Evidemment, c’était d’ailleurs le but de ce forum africain de la diaspora et comment, cette diaspora pourrait entreprendre et développer des activités sur le continent ? Comprendre et prendre des dispositions face aux freins en phase d’être identifiés un peu partout sur le continent. Dans ce forum y avait des entreprises, des financeurs, des pitcheurs des projets, des exposants, des salons VIP pour certains pays dans une démarche attractive et séduisante vers leur pays. Il faut rappeler que la Guinée était sous-représentée et n’avait qu’un seul exposant au salon (Voyage solidaire en Guinée si je ne me trompe), une raison qui peut expliquer cela peut-être, la coïncidence avec le forum de Bruxelles.
Il faut rappeler qu’auparavant, y a déjà eu ces genres de forums qui n’ont jamais su montrer leur efficacité et aujourd’hui s’ajoute le phénomène planétaire sur le développement et comment chaque état africain s’y prend.
Je pense aussi qu’il est vraiment indispensable de définir le co-développement pas que seulement avec la diaspora mais en association avec ceux qui résident sur le continent afin de comprendre si c’est pour développer l’Afrique ou pour freiner l’immigration.
Pour finir avec la question, je souhaiterai poser cette question, le développement de l’Afrique peut-il faire l’économie de la démocratie sur le continent ?

Etant de la diaspora, qu’est-ce que vous envisagez personnellement dans le cadre du développement ?

Je pense que dans la vie faut pas se tromper, y’a qu’un bon diplôme acquis dans la médecine qui permettrait de bien établir un diagnostic et prétendre soigner un malade par la suite, chaque métier demande un minimum de professionnalisme et je suis convaincu que ce sont les petits actes que nous posons tous les jours qui définiront qui nous serons demain. Actuellement je ne crois pas avoir endossé le costume de diaspora, je porte l’étiquette d’un étudiant étranger mais comme tout autre j’ai des aspirations entrepreneuriales en rapport avec les risques environnementaux & santé publique, pour l’instant j’ai un but à atteindre avec des objectifs bien clairs et des idées fixes, je ne précipite rien, j’avance doucement sans brûler les étapes, sans perdre de vue la ligne d’arrivée.

Quel appel avez-vous vis-à-vis de la jeunesse africaine et surtout celle de la Guinée ?

On entend souvent dire que l’avenir c’est la jeunesse d’aujourd’hui donc autant ne pas la gâcher, faut pas qu’on accepte d’être des spectateurs de ce qui se passe sous nos yeux, mais soyons les acteurs du vrai changement. Commençons par mettre de l’ordre dans notre vie, dans celle de la famille, changeons nos quartiers, nos collectivités et ensuite nos villes, demandons plutôt ce qu’on pourrait faire pour nous-mêmes avant d’attendre des autres car rien ne nous arrivera sans qu’on est une part de responsabilité. Soyons objectifs et optimistes, c’est pas toujours la faute aux autres.
Dans les années à venir 1 jeune sur 3 sera Africain et puis quoi d’autre ? l’Afrique est très riche par son sous-sol, la richesse est partout mais elle reste le continent le plus en retard sur tous les plans et la solution ne se trouve pas forcément chez les autres mais elle est encore chez nous. Vous pouvez vous exiler, vous aventurer, fuir vos responsabilités mais d’un moment à un autre, la vie vous rappellera toujours d’où vous venez.
Je vais dire à la jeunesse aussi que la richesse n’est pas que sous nos pieds mais elle est aussi dans nos têtes. Il faut se former et continuer à se former. Aujourd’hui vous pouvez bénéficier des même connaissances théoriques qu’un étudiant de Harvard avec la nouvelle technologie, les réseaux de partage etc….. faut pas manquer au rendez-vous du développement de l’Afrique. Mais si vous n’avez ni les connaissances ni les compétences, c’est quelqu’un d’autre qui le fera à votre place et ne vous prendra même pas comme ouvrier puisque vous n’aurez pas la qualification requise.
L’analphabète d’aujourd’hui, c’est pas de ne savoir ni lire et écrire mais de considérer tout ce qu’on lui raconte comme de l’argent comptant, ne pas faire des critiques objectives, ne pas savoir filtrer toute les informations qu’on pourrait lui balancer.

 

Propos recueillis par Aliou Diallo

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