Tigui Traoré: «la gouvernance politique actuelle en Guinée ne promet aucun espoir…»

Elle ne tarit pas de mots lorsqu’il est question de parler de son pays,  la Guinée. Un pays pour lequel elle compte se battre en mettant un accent sur le rôle et la place des femmes. Nous avons rencontré Tigui Traité pour une grande interview exclusive !

Bonjour madame!
Bonjour

Parlez-nous tout d’abord  de votre parcours ? 

 Je suis arrivée en Belgique en 2003 avec un diplôme de communication sociale et d’Entreprise dont il a fallu passer l’équivalence. Actuellement je suis indépendante, coach en agrobusiness, fashionpreneure, candidate aux élections communales Belges du 14 Octobre 2018 dans ma petite commune de SERAING de 64.157 habitants avec 14, 45% d’étrangers, la 24ème Commune belge en termes d’habitants. Je suis 12ème sur la liste du Mouvement Réformateur « MR». Mariée, mère de deux petits trésors.

Vous êtes Guinéenne vivant à l’étranger depuis plusieurs années. Expliquez comment vous avez débuté cette vie de diaspora ?

Je me définis comme une citoyenne du monde au profil atypique, prête à relever tous les défis de la femme du 21ème siècle. De la mode comme outil d’émancipation de la femme, l’agro business comme un tremplin de la femme rurale à la politique désormais, je suis engagée pour l’avenir !
En quoi, selon vous, la diaspora peut être un levier pour le développement de l’Afrique?
La diaspora africaine, c’est 32,5 milliards d’euros envoyés chaque année en Afrique et les flux migratoires que nous connaissons actuellement ne feront que multiplier les chiffres. La diaspora est un tremplin à l’émergence des pays africains. Ceci dit, je mettrai plus l’accent sur l’apport des femmes farouchement engagées dans la lutte contre la pauvreté. Le rôle historique joué par celle-ci témoigne de sa capacité de réaliser et conduire les changements. Qu’elles soient cheffes d’Entreprises, militantes, leaders, consommatrices ou parties prenantes, elles mènent le développement de leur continent. Dans le rapport sur la compétitivité en Afrique en 2017, la BAD exhorte le secteur des services à améliorer sa productivité agricole pour une meilleure intégration dans les chaînes de valeur mondiale. Concrètement, la diaspora devra favoriser la création d’activités individuelles des groupes ou collectives des femmes et des jeunes en Afrique.

Qu’est-ce qui, selon vous, freine le développement de la Guinée?

Pour parler du frein au développement de la Guinée, parlons tout d’abord de développement : étymologiquement, le développement est l’action de faire croître, de progresser, au cours du temps. Le développement économique puisqu’il s’agit de cela désigne les évolutions positives dans les changements structurels d’une zone géographique ou d’une population démographique, techniques, industriels, sanitaires, culturels, sociaux… de tels changements engendrent l’enrichissement de la population et l’amélioration des conditions de vie. C’est la raison pour laquelle le développement économique est associé au  » progrès « . Or, est-ce que la Guinée est au rendez-vous sur le plan sanitaire ? Non. Est-ce que la Guinée a progressé en améliorant son système social ? Non. Est-ce que la Guinée a un système éducatif compétitif ? Non. À la question: qu’est-ce qui freine le développement de la Guinée ? Je répondrai, le manque de rigueur, de discipline, de responsabilité à tous les niveaux (citoyen ou politique). Chaque Guinéen doit se considérer comme un acteur du développement en apportant le changement qu’il souhaite voir à son niveau par ses actes du quotidien. Chaque acte de notre quotidien en tant que citoyen devrait refléter le changement qu’on souhaite voir en commençant par des détails qui changent tout comme ramasser son mégot, mettre ses ordures à la poubelle, ne pas cracher dans les rues etc…. car le changement commence par nos petites actions. Ainsi les politiques seront obligés ou on pourra les obliger à faire autant sinon plus. Le jour que le peuple prend conscience de son pouvoir seulement ce jour-là, il sera « libre ».

Qu’est-ce qu’il faut pour que la jeunesse puisse être au cœur des prises de décisions dans nos Etats africains, en général et en Guinée en particulier?

Pour que la jeunesse africaine soit au rendez-vous du cœur des décisions ! Qu’elles décisions ? Politique, sociale ? Économique ? Environnemental ? Au regard de l’impératif du leadership de la jeunesse africaine d’anticiper les défis de notre temps liés aux solutions à apporter à nos sociétés, elle doit prendre des initiatives plutôt qu’elle attende qu’on lui donne la parole, elle devrait la prendre ! Plutôt qu’elle subisse la loi, elle doit la faire ! Nous jeunes sommes l’avenir du continent, nos aînés depuis l’indépendance ont prouvé leur limite. À nous maintenant de porter ce flambeau aussi lourd qu’il soit, nous assistons à une transition citoyenne dans le monde que ce soit en politique ou ailleurs notre Démocratie souffre d’une crise profonde. Le bilan n’est certes pas des plus beaux mais il reste notre héritage malheureusement et la contribution incontournable des femmes sera la clé qui amorcera ce changement tant attendu même si les questions de genre restent encore d’actualité, les voix des femmes sont essentielles, leur participation dans la vie publique et l’inclusion de leurs besoins et priorités dans toute solution politique ou économique est un pré-requis pour une démocratie complète dans nos pays en voie de développement.

Vous suivez de près les différentes crises en Guinée. Quelle analyse faites-vous de ces événements ?

Crise et événements en Guinée. Comment rester silencieuse et continuer à me définir comme «Citoyenne du Monde » si la crise qui sévit dans ma chère Patrie la Guinée me laisse indifférente ? Ceci dit, malgré les multiples causes qui sont à l’origine de celle-ci que je ne citerai pas ici au risque de perdre de vue l’essentiel, je voudrais saluer cette façon Pacifique digne d’un Citoyen du 21ème qui consiste à revendiquer avec des Mots autour d’une table ou par des actions pacifiques. Et rappeler ceci : la leçon de l’histoire est : vous pouvez vérifier en remontant absolument toutes les dates des grands acquis sociaux des citoyens du 20e siècle – La leçon est que les luttes sociales ne se gagnent que lorsque « la base » parvient à déborder les insistances dirigeantes des centrales syndicales . Où en est-on chez nous en Guinée ?

Est-ce qu’aujourd’hui la Guinée peut-elle amorcer un véritable système de développement?
Pour que la Guinée amorce un véritable système de développement, nous aurons du pain sur la planche. Ceci dit, la bonne nouvelle est que cela reste possible dans la mesure où des jeunes comme vous et moi commençons à prendre des initiatives, à se poser des questions et éventuellement trouver des solutions en s’inspirant des modes business dans la sous-région et à l’international. À cet effet, ne soyons pas des cartésiens en minimisant la plaie profonde qui gangrène notre patrie, celle qui consiste à bafouer la constitution républicaine qui prône la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire). Car s’il y a bien un domaine dans lequel la Guinée est compétitive, c’est dans le domaine du laisser-aller, aucune rigueur, aucune discipline, aucun sens des responsabilités. Nous devons prendre conscience de toute cette problématique et faire une réelle rétrospective sur nos atouts qui passent aussi par l’information mais surtout par l’investissement en soi (la formation des jeunes). Se former aux métiers en pénuries, se spécialiser dans des domaines porteurs d’avenir, nous avons la chance d’être une génération Wi-Fi, profitons-en en ligne ou ailleurs formons nous pour relever les challenges de notre temps.
Et seulement après la Guinée pourra amorcer un véritable système de développement en investissant en sa jeunesse.

La gouvernance politique en Guinée promet-elle de l’espoir pour un futur meilleur?
Il n’y a pas besoin de faire Sciences PO pour comprendre que la gouvernance politique en Guinée ne promet aucun espoir pour un futur meilleur. Cette politique telle qu’elle est menée actuellement en Guinée est obsolète, elle a définitivement épuisé sa batterie, elle a besoin de nouveau souffle, elle souffre du manque de leadership charismatique qui inspire ! La gouvernance politique en Guinée est chaotiquement un échec. Mais l’heure n’est plus aux critiques de: c’est la faute à qui ?comment ? Pourquoi ? Nous devons rentrer en jeu maintenant « Nous » Jeunes Leaders pour relayer nos aînés.

Quel rôle la diaspora doit jouer pour participer au changement réel de la Guinée?

Le leadership que devrait incarner la diaspora pour participer au changement réel de la Guinée au regard de l’impératif des défis liés à nos sociétés est un double rôle et le chemin plein d’embûches. Nous avons un devoir de citoyen vis-à-vis de notre pays d’accueil qui consiste à respecter les droits et devoirs et participer pleinement à son développement économique, culturel, et social à tous les niveaux. Et un devoir enfin à l’égard de notre continent qui est souvent victime de stéréotypes, mais la richesse de notre diversité sera un atout sans précédent si nous abordons nos défis avec un front commun en créant une des synergies pour construire des ponts entre le continent et l’Europe.
Les jeunes africains meurent dans la Méditerranée, pour un eldorado, dites-nous comment vous vous sentez en voyant cela?
L’avenir des jeunes d’Afrique ne réside pas dans la migration vers l’Europe. Se pencher sur la question de l’immigration en tant que citoyenne Belge (ayant des origines africaines) est un travail enrichissant qui a pu me permettre de réaliser la complexité tant au niveau philosophique qu’économique sur la crise migratoire qui touche l’Afrique et l’Union Européenne. Accepter que le monde, tel que nous le connaissons actuellement est un village planétaire ouvert et en mouvement constant. Notre action de citoyen du monde dans ce contexte doit être guidée par le bon sens, la solidarité et la conscience de l’enjeu humanitaire en tenant compte du respect des Droits et Devoirs des pays d’accueil. Je propose, par exemple, aux dirigeants africains des alternatives agricoles. Nous devons faire de l’agriculture un choix « STYLÉ » pour les jeunes. Ce qui requiert de nouvelles innovations agricoles, transformer l’agriculture pour qu’elle devienne un secteur créateur de richesses en faisant des zones rurales des zones de prospérité en vue de créer de la croissance et des emplois pour éviter la fuite des cerveaux à l’exil.
Quel message avez-vous à l’endroit de la jeunesse africaine en général et celle de la Guinée en particulier ?

Le message à l’endroit de la jeunesse guinéenne

Tant que nous sommes vivants, nous disposons d’une capacité d’action. Nous pouvons faire bouger les lignes, à commencer par les nôtres : notre perception de nous-mêmes, des autres, du monde et de la vie. C’est là que notre relation à l’échec intervient. La seule et vraie question que tout jeune africain devrait se poser, C’est comment l’Afrique en superficie ne représentant que 20% de la superficie mondiale, détenant 45% des terres cultivables du monde, si riche de son sous-sol ne soit pas au rendez-vous de la mondialisation? Autre temps, autre mœurs,
dit-on. Du temps des pharaons, seuls les scribes et l’élite avaient la connaissance pour interpréter les hiéroglyphes. Malheureusement, ces derniers avaient habilement camouflé leur savoir. Ils s’étaient bien gardé de faire connaître à la grande majorité du peuple endormi l’habilité de lire, de calculer, de communiquer via les papyrus en laissant la masse dans la médiocrité la plus totale et profitant de leur ignorance. Cependant, les changements d’époques dit-on « doivent supposer des changements de comportement ». Et on s’en souvient. À chaque cycle civilisationnel, le monde changea de visage via les supports d’information utilisés par les populations, passant des peaux d’animaux aux parchemins. Des parchemins aux rouleaux de papyrus. Des papyrus aux papiers. Du papier à l’ordinateur. De l’ordinateur à la tablette. Et bientôt du téléphone intelligent à l’intelligence artificielle, au Cloud, à la robotisation, à l’informatique quantique, etc. Ces avancées dans la technologie poussent chaque peuple à être à l’avant-garde du combat contre l’ignorance, contre la survie, contre la domination et pour pouvoir offrir aussi des solutions adaptées aux besoins des milliards d’êtres humains en matière de communication, d’information, de bien-être, de qualité de vie, de santé, de défense, de sécurité, etc., etc. Mais il est troublant de voir aujourd’hui particulièrement en Afrique francophone pour ne pas dire Afrique française combien nous sommes si peu nombreux à savoir lire et rédiger des codes informatiques et aller dans les profondeurs de la technologie pour répondre aux besoins de nos sociétés, s’adonner à la production d’applications, de logiciels et non rester dans la consommation de services uniquement. Le peu d’entre nous qui maîtrisons, camoufle habilement son peu de savoir comme faisaient exactement les scribes dans l’ancien temps ou bien ils ne sont pas écoutés du tout par les acteurs politiques. Faut-il s’étonner que l’industrie du numérique ne se développe toujours pas dans notre secteur géographique West Africa ? Où voulons-nous arriver avec la science informatique si remplie d’opportunités ? Soyons au rendez-vous du changement chère jeunesse !
Vive le monde !

Merci Madame

Je vous remercie

Interview réalisée par Aliou Diallo 

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