« Nous essayons de donner une seconde chance aux jeunes guinéens», dixit Général Amadou Doumbouya, Directeur Général ASCAD- Guinée

L’Agence du Service d’Action Civique pour le Développement ( ASCAD) de Guinée vient de célébrer son sixième anniversaire. Cette agence, créée en avril 2011 par le Président de la République, Alpha Condé, a pour vocation de former certaines catégories de jeunes et de les suivre dans leur insertion socio-professionnelle. Six ans après, quel est l’état des lieux de ses interventions? Quelles opportunités présentes et futures pour les jeunes non scolarisés, déscolarisés ou diplômés sans emploi? Et comment se portent aujourd’hui les relations civilo-militaires en Guinée?  Autant de questions que nous avons abordées avec  le directeur de l’Agence du Service d’Action Civique, Général Amadou Doumbouya. A bâtons rompus ! 

 

Bonjour Général

Bonjour

Quelle est l’idée qui a prévalu à la mise en place de l’Agence du service civique d’action pour le développement ?

 C’était avant tout la conviction du Président de la République qui, voyant la situation d’employabilité des jeunes guinéens, a décidé de mettre en place cette agence. On n’a pas fait, comme le disent certains,  du copier-coller du service militaire adapté de la France pour la Guinée. Mais, à travers le chef de l’Etat, nous essayons de donner une seconde chance aux jeunes guinéens dont l’âge est compris entre 18 et 40 ans. C’est  donc une école de la deuxième chance  parce que nous sortons du système régalien de toute la formation professionnelle pour nous orienter vers un système qui permet aux jeunes guinéens déscolarisés, non scolarisés, aux  diplômés sans emploi d’être insérés. Il s’agit donc de les recruter, de les mettre  en formation professionnelle pour dix mois et de leur trouver un point de chute.  

Est-ce qu’il y a des critères précis pour ce recrutement?

 Fondamentalement, ils sont au nombre de quatre : être de nationalité guinéenne, être dans de bonnes conditions sanitaires attestées par un médecin et  présenter certains  documents comme le certificat de résidence, la carte d’identité  nationale et aussi avoir un casier judiciaire propre à la date du recrutement.  

Lorsque vous parlez de casier judiciaire propre, est-ce à dire que vous ne recrutez pas un jeune qui est, par exemple, en conflit avec la loi ?

Alors si un jeune a encore des démêlées avec la justice, en ce moment précis, on ne peut pas le recruter. Mais une fois ces démêlées terminées, nous ne pouvons que lui offrir une seconde chance. D’ailleurs, nous sommes entrain de voir avec l’administration pénitentiaire comment récupérer certains jeunes qui sont dans cette situation dans le pays pour qu’on puisse les mettre à disposition, les former afin qu’ils puissent se servir.

Quelles sont les opportunités de formation que vous offrez aux jeunes qui viennent s’inscrire dans votre service ? 

Je précise tout d’abord que les jeunes qui arrivent ici sont des jeunes volontaires, c’est-à-dire qu’ils viennent de leur propre gré, ils se présentent au service de recrutement et vont vers des métiers qu’ils choisissent eux-mêmes, sans contrainte aucune. Ainsi nous sommes aujourd’hui à 715 jeunes de sortis du système.  Au départ, nous avions dix filières de formation parmi lesquelles l’informatique, la plomberie, la mécanique Auto, l’électricité bâtiment et auto, l’hôtellerie et les agents de protection et de sécurité. Mais compte tenu de l’apparition de l’épidémie Ebola en Guinée, nous avons a été confrontés à la baisse de la subvention accordée par le Président de la République. Néanmoins, on a essayé de revoir nos stratégies, pour les adapter à la situation actuelle. C’est ainsi que nous avons réduit ces filières à quatre tout en augmentant le nombre de recrues parce qu’au moment où je vous parle, on a, au moins, 380 jeunes qui sont en formation  et qui vont bientôt finir. Ce que nous n’avons pas pu faire au départ parce que nous avons ces jeunes pour deux ans et aujourd’hui, on les a pour huit mois, pour un an et après ils sont dans le système de l’employabilité. Donc la réduction de moyens nous a donné de l’expérience et nous a permis de fournir plus de résultats au-delà des moyens que l’on recevait avant Ebola. 

Vous parlez de jeunesse, de formation et d’employabilité. Il existe, pourtant, en Guinée des ministères en charge de la jeunesse, de l’emploi et de la formation. Quels sont vos rapports ? Est-ce qu’il n’y a pas parfois de conflit de compétences?

Il faut tout de suite retenir que nous ne sommes pas en concurrence. On a plutôt un cadre de mise à disposition qui nous permet de mettre les moyens et les compétences ensemble. L’ASCAD est, par exemple, en partenariat avec  le Ministère de l’enseignement technique,  de la formation professionnelle et du travail. Nous avons certains professeurs dans notre centre qui nous viennent directement de ce ministère. Pas donc de conflit de compétence possible parce que, même à la sortie des jeunes ici, le diplôme qu’ils ont, est signé et avalisé par le Ministre de l’enseignement technique. Egalement avec le Ministère de la jeunesse, je précise déjà que c’est le Ministre de la Jeunesse qui assure la présidence du Conseil d’administration de l’ASCAD. Donc avec ces instituions, nous tissons de bons partenariats qui permettent de  faciliter la mutualisation des moyens et des compétences en vue de faire face aux besoins des jeunes de Guinée.

 Alors six ans après la mise en place de l’Agence du service d’action pour le développement,  quel est le bilan ?

 Comme je le disais tout à l’heure, on a plus de 700 jeunes qui  sont sortis d’ici et qui sont employés, soit par des entreprises partenaires du SCAD, soit par eux-mêmes.  Parce qu’on a deux systèmes : on peut envoyer les jeunes vers une entreprise partenaire, comme ces jeunes peuvent eux-mêmes se prendre en charge en se formant en groupes et en créant leur propre entreprise. Une fois que c’est fait, c’est l’Agence qui leur donne des moyens pour qu’ils partent vers l’ouverture de ces entreprises. Aussi, nous avons pour vocation première de former des jeunes  à la citoyenneté car nous voulons que le citoyen guinéen comprenne qu’avant d’être un fils d’un pays, il faudrait savoir c’est quoi le pays, c’est quoi le respect des institutions, c’est quoi le respect de l’autre, le respect de soi-même. En plus de cette formation citoyenne, nous respectons un cycle bien précis : cinq mois de formation citoyenne, dix mois de formation qualifiante et deux à trois mois de chantier d’application.

Et aujourd’hui avec l’expérience que nous avons, nous sommes entrain de faire des formations en alternance. C’est-à-dire  les jeunes qui, par exemple,  font Hôtellerie, ont 15 jours de formation sur site et durant 15 autres jours, on les envoie vers des entreprises pour qu’ils commencent déjà  à s’exercer. D’ici à 6 ou 8 mois, vous trouverez que ces jeunes, avec la formation en alternance, sont impeccablement prêts pour l’emploi. Et le plus souvent, avant même la fin de la formation, ce sont des partons d’hôtels même qui nous écrivent officiellement pour nous dire qu’ils retiennent tel ou tel parce qu’ils sont performants. 

A part la Guinée, est-ce que ces jeunes font leur preuve ailleurs ?

Je n’ai pas connaissance d’un jeune qui a quitté ici et qui a fait valoir ses preuves ailleurs mais ce qui reste clair, c’est que l’ASCAD est toujours citée en exemple. Je m’en vais vous donner pour preuve qu’en 2013, nous avons organisé une conférence qui a regroupé presque toute l’Afrique en Guinée. Au regard de notre bilan, tous les participants ont compris que l’agence a décollé. Egalement entre fin 2014 et début 2015, j’ai participé, à l’Institut des Hautes Etudes de Défense nationale en France, à une grande conférence au cours de laquelle j’ai exposé sur le Service d’action pour le développement de Guinée. Nous avons été félicités par le Premier ministre français devant un parterre de personnalités venues du monde pour parler de la jeunesse, des perspectives que chaque Etat avait à offrir à sa jeunesse désœuvrée et désorientée.

 Avec ces résultats, est-ce qu’il vous arrive à l’idée d’entamer des partenariats dans la sous-région par exemple ou avec d’autres agences  d’autres pays?

Bien sûr. A l’issue de la rencontre de Conakry dont je parlais tout à l’heure, on a noué des contacts. Je suis en relation étroite par exemple avec mon homologue du Niger. On échange régulièrement de mails. Je viens aussi d’être invité au Mali  pour voir un système qu’ils ont instauré là-bas, le service militaire obligatoire. Je vais aller voir comment ça fonctionne surtout  avec  la gestion des déchets plastiques pour la confection des pavés dans laquelle ils évoluent  depuis un certain temps. Je suis invité pour aller voir ça. Peut-être que je pourrai dupliquer cette expérience en Guinée.

 Sur le terrain aujourd’hui et en dépit de la baisse de votre subvention, est-ce que la demande est toujours forte ?

 La demande est plus grande que ce que nous avons aujourd’hui comme offre. La dernière opération de recrutement en date, c’était au mois de février passé. On a invité tous les jeunes qui voulaient venir au SCAD à se présenter à la Bluezone de Kaloum. J’avoue qu’on était débordés. Mais avec les directives du Chef de l’Etat qui nous demande maintenant de sortir de Conakry pour élargir nos champs d’action, nous sommes en partenariat poussé avec la société minière de Boké  avec laquelle certainement en fin d’année ou en début de l’année prochaine, on va faire un centre sur Boké qui va prendre jusqu’à 600 jeunes. Avec le Programme des Nations pour le développement (PNUD)  et peut-être avec l’Union européenne, nous sommes entrain de voir comment notre agence va s’étendre sur les régions notamment à Kankan ou à Mamou.  J’ai même une demande du préfet de Pita sous la main qui a mis déjà des infrastructures à la disposition de l’agence. Ces infrastructures devront nous permettre de venir très rapidement  ouvrir un centre qui va s’occuper essentiellement de l’agriculture.

J’avoue ensuite que c’est un service civilo-militaire. Cela veut dire que Général de mon état, je dirige l’institution. Mais mon adjoint c’est un jeune civil. Et le Président a voulu que ce soit comme ça. C’est juste pour l’armée d’essayer de participer à l’édifice du développement  et de se rapprocher beaucoup plus des civils.

Justement qu’est-ce que vous faites pour rapprocher les militaires des civils ? 

Vous savez avant que Professeur Alpha Condé n’arrive au pouvoir, l’image que l’armée guinéenne avait n’était pas une bonne image. A l’époque, la population civile avait tellement peur de se rapprocher des militaires que les relations entre les deux entités étaient devenues conflictuelles.  Mais aujourd’hui, la méfiance a cédé le pas. Quand vous venez dans notre centre,  vous verrez  qu’en plus de l’encadrement civil, il y a aussi des militaires qui sont là pour encadrer les jeunes. Tous les matins, ils mangent ensemble, ils font des programmes ensemble.   Mais ce que je voudrais ajouter c’est que ces jeunes qui sont formés chez nous ne seront ni militaires ni engagés à la fonction publique. Ils n’ont pour vocation que d’aller vers les entreprises partenaires au SCAD ou bien, ils font, eux-mêmes, leur propre entreprise et nous les accompagnons dans leur autonomisation et insertion.

En faisant quoi par exemple ?

 Si vous prenez par exemple les jeunes qui ont fait Chaudronnerie. Quand ils sortent, s’ils ne sont pas retenus par l’entreprise qui les a pris en application, ils reviennent vers nous. On essaie de trouver ensemble où ils peuvent  installer leur atelier, on essaie de payer la location, de voir comment aménager les lieux où ils doivent aller travailler.  Pour la pérennisation de leur emploi, nous essayons de leur donner aussi des moyens et nous les suivons pendant deux ans et demi au moins pour savoir effectivement là où ils sont et comment ça se passe pour eux.   

Vous avez beaucoup d’ambitions et un champ d’action très large. Mais au regard de toutes ces activités, quelles sont les difficultés que vous rencontrez aujourd’hui ?

Les difficultés sont essentiellement d’ordre financier. Jusqu’ici nous fonctionnons avec la subvention que le Président de la République a mise à notre disposition. Mais je crois qu’avec les partenariats que nous sommes entrain de développer, ces difficultés ne seront bientôt que de lointains souvenirs. Nous sommes en partenariat très poussé avec certaines institutions de la place, avec certaines institutions internationales qui ont compris au moins le mode de fonctionnement du SCAD, son importance et qui sont prêtes à nous aider. Le PNUD, par exemple, a mis 40.000 dollars à disposition pour faciliter la communication sur le service.   

Comment voyez-vous alors l’avenir de l’Agence du Service d’action civique et de développement en Guinée? 

Déjà, il y a aujourd’hui un réel motif de satisfaction qui anime la Direction du SCAD   à travers ma personne parce que je me dis quelque part qu’à chaque fois que nous apportons  quelque chose à un Guinéen allant dans le sens d’organisation de sa vie future, de le sortir de la précarité, de le mettre sur une voie qui lui permet de se prendre lui-même en charge, c’est un sentiment de satisfaction pour tous les cadres de l’Agence.  Dans la promotion qui doit sortir ce mois de juin, je suis à 97 % d’insertion déjà au niveau des jeunes agents de protection et de sécurité. Tout cela constitue des motifs de satisfaction. Les craintes peuvent toujours exister parce que le risque zéro n’existe pas mais nous voulons grandir. Nous avons de fortes chances d’ici la fin de l’année que tout ce dont nous avons besoin comme source de financement soit réalisé. Et en 2018, certainement, le SCAD sera installé partout en Guinée et va contribuer au développement de ce pays de manière exponentielle.

                                                                                                                                   Propos recueillis par Camara Ibrahima Sory        

 

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