Mohamed Cissé  : « l’importance de l’architecture va au-delà du confort »

L’architecture est devenue aujourd’hui un véritable outil de développement au service des États. Mais faudrait-il savoir s’en servir et en faire la promotion. Dans cette interview,  Mohamed Cissé,  spécialiste en architecture et Directeur général de MEDCIS ARCHITECTURE, parle des défis et de la place de ce métier dans le développement, mais aussi des risques liés à la construction des édifices sans passer par des normes requises en la matière. A cœur ouvert.

www.ledeclic.info : dites-nous d’abord, qu’est-ce que l’architecture ?

M. Cissé Mohamed : l’architecture c’est l’art majeur de concevoir des espaces et de bâtir des édifices tout en respectant les normes en la matière.  Elle est basée sur le bien-être. C’est pourquoi la philosophie qui en découle porte essentiellement sur les espaces de vie et de travail, sur notre santé mentale et physique. 

Quelle est donc la place de ce précieux domaine dans le développement ?

Je dirais que l’architecture doit occuper la première place, raison pour laquelle on suggère au niveau du ministère de l’habitat,  qu’il y ait toujours un architecte à la tête du département.  Quand vous passez d’un pays à un autre, la première des choses qui vous impressionnent, c’est son architecture.  C’est pourquoi quand un enfant part en vacances dans un pays voisin, il dit que ce pays est plus développé que ce pays, ou bien notre pays est en retard. Donc la première idée de comparaison,  commence par l’architecture de cette ville. C’est pourquoi ce secteur doit occuper la première place dans tout élan de développement.

Justement, elle devrait occuper une place importante. Mais quelle appréciation faites-vous de l’architecture guinéenne  ?

D’une manière générale, le but de l’architecture est de donner le bien-être aux êtres humains.  Donc en voyant l’architecture guinéenne,  je dirais que nous sommes beaucoup en retard. Nous sommes très très en retard.  Normalement quand on prend la capitale Conakry,  il doit y avoir une architecture harmonieuse. Dès que tu passes d’un quartier à un autre, d’une commune à une autre, que tu sentes l’urbanisme, l’architecture sur cette ville et sur les espaces.  Mais en Guinée,  ça fait défaut.  Et cela est dû au manque de techniciens supérieurs au niveau du département de l’architecture.  Il faudrait qu’il y ait toujours des architectes au sein du ministère de l’habitat pour avoir ces idées pareilles.

Quels sont les facteurs qui expliquent cela ?

Je dirais qu’en Guinée on était en retard sur la question de l’architecture.  On avait pas un département Architecture en Guinée.  C’est récent qu’il y a eu ce département.  Ça fait qu’il n’y a pas eu beaucoup d’architectes.  Et le peu qui sortent aussi, le niveau n’est pas aussi élevé. Donc il faudrait que l’État donne accès aux jeunes étudiants pour faire l’architecture.   Chaque quartier, chaque secteur  doit avoir un architecte,  c’est très important.  Quand il y a les architectes un peu partout,  les habitants oseront venir vers l’architecte pour passer à l’acte de bâtir,  car seul l’architecte en tant que maître d’œuvre a le devoir et la responsabilité de gérer l’espace.  C’est pourquoi le pouvoir public doit mettre des règles en place. Quiconque n’a pas son permis de construire, ne doit pas construire. Mais souvent en Guinée, les gens finissent de construire, après partent demander les permis de construire. Pourtant, c’est l’un après l’autre,  c’est-à-dire on cherche d’abord le permis de construire. Et tu ne peux pas avoir ton permis de construire sans passer par un architecte. Il faudrait que le plan soit fait par un ingénieur, la structure tout et tout, parce que les architectes sont reconnus par l’ONAG: (Ordre National des Architectes de Guinée)  et les ingénieurs sont reconnus par ONIBAT (Ordre National des Ingénieurs BTP de Guinée). Donc quand tous les documents sont réunis,  vous passez maintenant au permis de construire.  Mais si les étapes là ne sont pas respectées,  il y aura toujours des problèmes. 

Si la procédure reste peu suivie, c’est que les gens ne s’y intéressent probablement pas. Alors quel est l’effet de construire sans permis de construire ?

Ça impacte négativement l’architecture du pays . C’est pourquoi à tout moment on entend que les bâtiments sont entrain de s’effondrer.  Vous allez voir un monsieur,  il se lève du jour au lendemain,  il a l’argent, il passe à l’acte de bâtir. Il ne consulte pas les ingénieurs en architecture. Il vient plutôt voir les vieux maçons.  Alors que les calculs de structure ne sont pas là,  la fonctionnalité architecturale non plus, à la longue le bâtiment va s’effondrer.  C’est un problème réel.  Et ça fait que dans l’architecture, il y a beaucoup de choses. Par exemple, vous allez voir entre les quartiers résidentiels,  comme l’architecture à Kipé,  à Nongo ( commune de Ratoma) et partir dans les banlieues comme les Kountia ( préfecture de Coyah) ou Enta( commune de Matoto) les architectures ne sont pas les mêmes.  Parce que dans les quartiers résidentiels,  les gens passent toujours par les architectes pour venir concevoir.  De l’autre côté, c’est l’inverse.

Vous avez parlé aussi d’un déficit du capital humain dans ce secteur…

Bon, ce qui explique cela  comme je l’ai dit à l’entame, l’architecture est venue en retard en Guinée. Le département est récent. Nos architectes se formaient à l’extérieur,  alors que tout le monde n’a pas les moyens d’aller à l’extérieur.  Mais aujourd’hui,  Dieu merci , on a beaucoup d’écoles, parce qu’avant c’est seulement ISAU de  Gamal qui fait ça.  Et ça coûte excessivement cher. Dès fois même si l’État vous donne l’opportunité d’aller en architecture, il y a des gens qui démissionnent à partir de la première année parce que, c’est difficile et c’est coûteux.  Si les parents ne sont pas là pour vous soutenir, vous ne réussissez pas dedans. Donc moi j’interpelle l’Etat à subventionner ce domaine- là,  à venir en aide aux étudiants de l’architecture. Parce que les dépenses que les étudiants de l’architecture font, les étudiants des autres départements  ne le font pas. Quand vous êtes en architecture,  vous êtes toujours obligés d’acheter des papiers, des calques ou autres outils. Et ces papiers par exemple sont en bristol. Il y a  des bristols brillants de 3000, 4000 ou 5000 gnf. Imaginez un étudiant qui a une bourse de 200.000gnf , alors qu’à la fin de chaque mois, il doit acheter les effets, le transport et d’autres besoins. Vous voyez c’est compliqué.  Donc les gens fuient ce domaine.

Justement,  la subvention du pouvoir public est un défi. Que faut-il faire à ce niveau ?

A ce niveau, je dirai que la première des choses, l’État doit mettre les moyens à la disposition des instituts d’architecture. Il faudrait également qu’il y ait des campus pour les architectes. Récemment nous étions entrain de penser à un site vers Maférinyah, une sous-préfecture de Forécariah pour envoyer l’école d’architecture là-bas. Parce que nous, notre métier, on travaille la nuit. Les architectes dessinent la nuit. Et pour faciliter cela, il faudrait qu’ils soient à l’école. À la maison, vous n’êtes pas dans les meilleures conditions de travail. Mais une fois au campus, vous avez votre dortoir à côté, vous pouvez bien travailler. L’État doit jouer ce rôle.  Et en dehors de ça,  les parents doivent accompagner les étudiants en architecture, parce que souvent on a toujours eu ce problème. Quand tu viens expliquer à papa, aujourd’hui on a l’affichage, je dois acheter ça, les dépenses peuvent aller jusqu’à 80 ou 100.000gnf. Pour toi, un seul enfant,  par semaine, tu dépenses 100.000 gnf par exemple,  les parents ont tendance à fuir. Ça fait qu’on est abandonné à notre sort. Et seuls les plus persévérants réussissent dans ce domaine. C’est pourquoi, moi personnellement,  quand j’étais étudiant en architecture,  j’enseignais dans les écoles et faisais des taxi moto pour pouvoir subvenir aux besoins, malgré que mes parents aussi apportaient, mais il fallait aussi augmenter.

Vous êtes spécialiste en architecture. Quelle parole de vous nous pouvons retenir pour le changement des pratiques ?

D’abord,  je dirais que l’architecture c’est le plus beau métier, et son importance,  c’est au-delà du confort. Elle résume notre vie.  À travers cette architecture,  nos espaces communiquent. Vous allez voir nos résidences,  nos espaces de vie et de travail, tous se reflètent à travers l’architecture.  Donc je dirais aux gens de passer par les architectes avant de construire.  C’est très important.  Les gens ont tendance à fuir les architectes, parce que nous coûterions excessivement  cher. Mais je leur dirai de venir voir un architecte,  nous ne sommes pas chers. C’est comme sur le marché guinéen. Tu dis à quelqu’un je peux faire ton plan à 15 millions, par exemple,  l’intéressé peut te dire j’ai 2 millions. Nous, en tant qu’architectes, nous prêtons serment. Donc on a le devoir de servir tout le monde.  Que tu sois pauvre ou riche, l’architecte doit te servir. Donc je dirais à la population de venir nous voir.

Propos recueillis par Gassime Fofana

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