Guinée  : « la culture de la banque est très faiblement acceptée par la population »

Promulguée par l’ONU (résolution 74/245), le 19 décembre 2019, la journée internationale des banques est une journée mise à profit par les Nations Unies pour montrer, mais aussi  reconnaître (et encourager) le rôle incontournable et indispensable des banques dans les projets et programmes de développement multilatéraux et dans le développement durable des pays et des citoyens.  Pour l’occasion, le spécialiste en Finance, Dr Alhassane Makanéra Kaké, explique les défis qui s’attachent au système bancaire de Guinée.

« Le système bancaire guinéen est un système relativement récent, qui est pratiquement né avec la mise en place de la politique d’ajustement structurel  en Guinée. Parce qu’avant cette période, les banques qui existaient, c’était des banques nationales, propriétés de l’Etat. Et essentiellement,  ce sont des banques qui jouent pas un rôle très prépondérant dans l’économie. »

Poursuivant  son intervention, Dr Kaké affirme : «Avec l’ouverture de l’économie,  la mondialisation de notre économie, nous avons vu la naissance des banques,  mais des banques essentiellement commerciales, donc qui évoluent beaucoup plus dans le niveau de spéculation que les banques d’affaires et celles du développement. Les banques commerciales que nous avons, ont peu d’impact sur le développement économique du pays, à cause des taux d’intérêt,  et également les conditions difficiles d’accès aux ressources bancaires. Souvent, dit-il, il faut des garanties. Et parfois, le pauvre qui veut investir, n’a pas de garantie. Et pendant l’ajustement structurel, quand on a vu le taux d’intérêt élevé,  il y a eu un économiste  qui a imaginé ce qu’on apelle Grameen Bank , la banque qui prête aux pauvres et dont la garantie est sociale.  Cette vision a pris cours chez nous et a donné  naissance à ce qu’on appelle  le crédit rural, mais qui n’a pas survécu, pour contourner un peu les taux d’intérêt et les délais de remboursement courts.

Les défis du secteur bancaire de Guinée 

Les défis qui attendent le secteur bancaire de Guinée sont énormes, selon l’économiste. Pour cela, dit-il, il faut un changement de paradigme en mettant en place des banques qui peuvent faire face à la pauvreté et aux mauvaises conditions de vie dans lesquelles vivent les citoyens.

« Pour les défis,  il faut mettre en place les banques qui peuvent financer le développement , autrement dit les banques de développement,  surtout les banques de développement agricole, parce que la majorité des Guinéens vivent de l’agriculture.  Il en est de même pour le secteur d’élevage.  Ça c’est le premier défi pour répondre aux besoins  de la Guinée. Également, avec  les banques commerciales dont nous disposons, certains vont vous dire, et c’est une réalité,  lorsque les risques sont élevés,  les banques ont l’obligation d’augmenter les taux d’intérêt.  C’est pourquoi les taux d’intérêt sont très élevés en Guinée.  Il faudrait, propose Dr Kaké, qu’on parte vers un risque minimal, pour qu’on voie les taux d’intérêt baisser. »

Les difficultés relatives à la banque en Guinée 

« Autres difficultés,  que je trouve aussi importantes que les autres, c’est que la plupart des Guinéens n’ont pas confiance à la banque. Si vous vérifiez le taux de bancarisation de l’économie,  en Guinée,  en tout cas, j’ai pas les derniers chiffres, mais en 2015, il était autour de 2% de la population bancarisée. Et si vous regardez essentiellement,  ceux qui sont bancarisés sont essentiellement des travailleurs,  soit du secteur public, soit du secteur privé. La preuve, dit-il,  qui est manifestement visible,  au moment de la paie des salaires, on n’a pas où mettre, donc retirer son argent pose énormément de problème.  10 jours après la paie des salaires, c’est quelques guichets qui fonctionnent dans les banques. Comme pour dire que c’est l’argent des employés que les banques gèrent », explique-t-il avant d’ajouter : « les commerçants, détenant des fortes  sommes, en profitent pour garder en devises, pour mieux lutter contre l’érosion monétaire,  également pour faciliter d’accès à leur argent. Donc la culture de la banque est très faiblement acceptée par la population. Seuls ceux qui sont dans le secteur formel,  qui cherchent à avoir des comptes bancaires. Tous ceux qui évoluent globalement dans le secteur informel, font dos à la banque. »

Pour lui, le secteur de banque est aujourd’hui un outil de développement. Lais en Guinée,  il y a encore du chemin à faire pour pouvoir sentir ses impacts sur le développement et sur les conditions de vie. « L’idée de banque est une bonne chose, mais les défis sont tellement énormes, qu’il nous reste beaucoup de choses à faire, parce que l’histoire est relativement récente, parce qu’une banque commerciale ouverte à la concurrence qui est née pendant l’ajustement structurel. Mais tant bien que mal,  on sait qu’il y a un progrès,  parce qu’on voit une multitude de banques aujourd’hui. Les banques existent et le citoyen guinéen aussi s’adapte au système bancaire, bien que nous avons connu des difficultés avec des banques qui sont parties avec l’argent des gens. Et je crois , la Banque centrale à mis en place un ensemble de mécanismes à travers la loi bancaire pour éviter à ce que les déposants soient surpris. »

Gassime Fofana

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