Guinée : faut-il limiter le nombre de partis politiques ?

La pléthore de partis est-elle à la base de l’instabilité politique en Guinée ? Faut-il donc limiter le nombre de formations politiques dans le pays ? Ou faut-il juste en durcir les conditions de création ? Les interrogations se posent et les réponses sont parfois peu convergentes. Certains estiment qu’il faut un vote national afin de savoir s’il faut aller à un multipartisme intégral ou pas. Alors que d’autres,  très catégoriques, soutiennent qu’il faut limiter le nombre de partis. 

 « C’est un débat qui dépend des paramètres d’analyse intellectuelle et philosophique de chacun. Quand vous regardez l’histoire de l’humanité,  le problème de la démocratie remonte un peu à la démocratie bourgeoise.  C’est elle qui, au lendemain de la révolution française, a entraîné des gens à concevoir des partis selon leur intérêt de classe. Donc, selon la philosophie occidentale, trois personnes peuvent se réunir pour créer un parti politique. Alors qu’à partir de 1905, pratiquement au début de la révolution bolchévique, les gens sont allés à l’extrême,  c’est-à-dire au lieu de multitude de partis, ils sont allés sur un parti unique. Si vous lisez un peu le manifeste du communisme de Karl Marx, vous trouverez que c’est le parti unique qui est idéal », explique Mohamed Mohamed Condé, conseiller au Ministère de la Communication. 

Poursuivant son analyse,  il affirme : «  maintenant,  chez nous, en Guinée, le multipartisme est né quand ? Le multipartisme en tant que tel est né après la libéralisation des syndicats qui avait été décidée à partir de 1930 par le système français. A l’époque, il a été décidé que les syndicats français pouvaient avoir leurs représentants dans les colonies.  C’est ce syndicalisme – là qui a apporté le multipartisme en Guinée. C’est ce qui est à la base de l’accès à l’indépendance d’ailleurs. Mais au-delà, les partis politiques qui sont nés après 1940, c’est-à-dire 1941, 42 … étaient des partis fondés sur l’ethnie,  pas l’ethnie en tant que telle, mais sur la région. Il y avait l’union des insulaires,  c’est-à-dire ceux qui appartenaient ou qui sont dans les îles de Loos et autres. Il y avait l’Union mandingue basée en Haute-Guinée, l’Union forestière et celles de Fouta et de la Basse-Guinée. Donc  c’est à partir de cette période que le multipartisme est né ici. Il ne faut pas croire que le multipartisme est né avec la constitution de Lansana Conté. Ce n’est pas vrai. Le multipartisme était ancien, mais fondé sur les régions. En fait jusqu’à la prise du pouvoir par Sékou Touré,  le multipartisme était  plus ou moins accepté en 1958. En 1958, après la conférence du 14 septembre,  les partis politiques qui étaient censés être opposés au RDA et à l’indépendance ont tous soutenu l’indépendance à la fois, c’est-à-dire le BAG, le PRA… tous les partis politiques de l’époque ont dit nous voulons l’indépendance. Après l’indépendance,  Sékou Touré a été reconduit. Il n’y a pas eu d’élections. Ils ont formé à cette date un gouvernement d’union nationale, qui avait les partis politiques de celui de Barry 3 ou Barry Diawadou, …. Donc le multipartisme a cessé de fonctionner quand tout le monde est rentré dans un mouvement unique.  À partir de ce moment,  on est rentré dans un mouvement du parti plus ou moins unique dénommé PDG-RDA », explique M. Condé. 

Pour lui,  après la prise du pouvoir par l’armée,  Lansana Conté avait demandé deux partis politiques, c’est-à-dire le bipartisme pour éviter que l’on rentre dans des partis qu’on appelle des partis ethniques.  À partir de là, estime l’ancien Secrétaire général du ministère de la Communication, des partis sont nés et avec eux, des conflits autour de l’accès au pouvoir. «  Personnellement, je pense qu’avoir beaucoup de partis ou ne pas avoir un nombre limité, c’est démocratique. Mais où ça  peut nous mener ? Est-ce qu’il ne faut pas réfléchir à une nouvelle forme de démocratie ? Une démocratie qui tient compte de nos valeurs culturelles.  Si on avait une démocratie calquée sur notre base culturelle, cela aurait fait moins de morts. Mais on ne l’a pas fait. On a juste pris la démocratie occidentale et plaquée sur nos communautés, sur notre structure sociale. Il y a eu des points où ça marchait mais aussi des points où ça ne marchait pas. Donc je pense qu’il faut poser la question à l’ensemble de la population guinéenne pour savoir si les Guinéens veulent d’un nombre limité de partis, peut-être deux ou trois , ou s’ils veulent le multipartisme intégral, genre  qui a été adapté jusqu’à maintenant. Il faut poser cette question à tous. Moi, je pense qu’il faut même un référendum sur ça », propose-t-il.

Pour sa part, Mamadou Mouctar Diallo, professeur de droit, estime qu’il faut réduire le nombre de partis en Guinée. Cela, en créant des conditions très exigeantes.  «  Le multipartisme est l’un des principes de la démocratie, certes, mais la tournure qu’il prend en Guinée est devenue aujourd’hui,  à mon avis,  l’une des causes des troubles sociaux. Pour un pays comme la Guinée, on dénombre combien de partis politiques ? C’est trop que moi personnellement je ne connais pas le nombre. Et chaque jour, c’est la naissance d’une nouvelle classe politique. C’est pourquoi de mon côté,  je propose la réduction considérable du nombre de partis politiques en Guinée, c’est-à-dire il faut constitutionnaliser le bi ou le tripartisme. Et pour le faire, conclut l’enseignant,  il faut créer des mesures draconiennes liées à la création d’un parti politique en Guinée. Parce qu’aujourd’hui, je me demande sur quelle base certains partis sont créés. Donc je suis pour la limitation à deux ou trois partis politiques en Guinée.» 

Le débat est donc lancé !

 

Gassime Fofana

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