Dr Alhassane Makanéra Kaké : «l’annulation de la dette guinéenne n’est pas à l’actif d’une seule personne»

Il ne mâche pas ses mots. Dr Alhassane Makanéra Kaké, dans cette interview, parle de l’histoire de la réduction de la dette dont le gouvernement actuel se donne le mérite. Il dément aussi tous ces discours de progrès que tient le gouvernement par rapport à la situation socioéconomique et financière du pays. Interview

Ledeclic.info : le pouvoir actuel ne cesse de se donner le mérite notamment en ce qui concerne l’annulation de la dette publique guinéenne. Est-ce vrai ?
Dr Alhassane Makanéra Kaké : En fait, la Guinée a bénéficié d’une réduction de la dette et ça c’est un processus qui a débuté en 1999 et s’est achevé en 2011. Donc c’est l’effort des plusieurs gouvernements et citoyens guinéens qui ont accepté beaucoup de choses par rapport à cette dette. Donc cette l’annulation a permis à ce que l’endettement de la Guinée par rapport au produit intérieur brut(PIB) baisse de 48%. Là c’est une réalité mais qui n’est pas à mettre à l’actif d’une personne seule. Ce n’est pas effort extraordinaire la Guinée a fait, mais plutôt le pays a bénéficié d’une réduction de la dette. Parce qu’il y a deux groupes de pays en Afrique : les pays qui ont fait l’effort réel, ils ont réussi à réduire leurs dettes, le montant de leurs dettes par rapport au PIB a baissé et l’autre groupe de pays dont la Guinée fait partie ont bénéficié des annulations de stocks de dettes.
Le PM était tout récemment en tournée en Haute Guinée. Selon Kassory Fofana, la Guinée est aujourd’hui un pays solvable. A votre avis, est-ce que cette solvabilité à un impact sur la vie des citoyens ?
Au moment où la Guinée n’était pas solvable, selon le premier ministre, au moment où les choses n’allaient pas du tout, c’est qui est sûr, le carburant était à 8.000gnf, maintenant il est passé à 10.000. On dira que cela est lié à la conjoncture internationale, mais prenons un autre exemple simple comme le droit d’inscription des nouveaux bacheliers. Avant, c’était à 15.000, l’année dernière, on était à 30.000 et cette année c’est 50.000gnf. Donc c’est ce que, eux, ils appellent ça va ; quand la population continue à doubler de l’effort. Si on dit que le prix du carburant c’est la conjoncture internationale, donc les frais d’inscriptions aussi c’est la conjoncture internationale ? J’apprécie bien qu’on dit la Guinée est solvable parce que c’est réel car si le FMI donne le quitus, il y a un accord formel avec l’institution, cela signifie que le pays est solvable. Mais nous, la grande question que nous devons nous poser est la suivante : comme on est solvable, si on prend la dette, ça va où ? Parce que les citoyens ne ressentent pas son impact sur leur vie. Pourtant, ils nous disent que  »ça va » alors que de petits exemples comme cette augmentation des frais d’inscription des bacheliers nous montrent que ça ne va pas. Maintenant l’autre question qu’on se pose : si c’est vrai ça va, donc l’argent est passé  quelque part ou un cartel de personnes gère le fonds au détriment du peuple. Oubien ça ne va pas. Ce qui semble pour moi crédible. Parce qu’ il ne faut pas que le gouvernement nous prenne pour des enfants, nous fait avaler des pilules en nous disant que c’est sucré.
Le budget est également une caractéristique du progrès d’un pays. A votre avis avec les budgets initial et rectificatif, pouvons-nous dire que le pays est en marche ?
Quand nous regardons le projet du budget rectificatif de la loi de finances, ce projet nous indique que tout ce que le gouvernement a mis comme priorité dans la loi des finances initiale ne sera pas au rendez-vous. Pour la simple raison que les recettes et les dépenses ont baissé. Malgré ils ont augmenté le prix du carburant à la pompe, les recettes baissent. Le pire, le déficit budgétaire dans la loi initiale était à 11% avec la loi rectificative on est à 13% maintenant. Donc le budget ne montre pas dans sa présentation, le succès que le gouvernement dit alors que le succès d’un gouvernement est le reflet du budget. C’est dans ça qu’on peut dira ça va ou pas. Si on réduit les dépenses après une prévision, cela signifie que ce que le gouvernement avait comme projet, il serait difficile d’atteindre cela. C’est ce que ça veut dire en matière de budget. Donc la croissance et les perspectives qu’ils ont prévues dans le budget ne seront pas au rendez-vous parce qu’eux-mêmes se sont corrigés trois mois après pour dire : les députés en fait, ce que nous avons proposé, ce n’est pas vrai. Parce que le projet du budget là c’est-à-dire la loi rectificative à sa spécificité : il ne couvre que trois mois. C’est que trois mois après l’adoption du budget, le gouvernement s’est rendu compte que rien ne va. Ce qui est sûr c’est que ça ne va pas dans ce pays parce que même les indicateurs macroéconomiques du budget le montrent. Ce n’est pas de moi, mais le budget recule en dépenses et en recettes et l’investissement est exécuté à un 1% très faible. Mais qu’est ce qui va ? Moi, je dirai ce qui va : ce sont des 4×4, des VA qui roulent partout.
Encore une fois, le PM a comparé Conakry à Abidjan. Comment appréciez-vous cette comparaison ?
À ce sujet, il y a trois hypothèses : il n’a jamais été en Côte d’Ivoire, il rêve ou enfin il joue de la comédie. Parce qu’on ne peut pas comparer Abidjan à Conakry en 20 ou 30 ans. Là, je vous dis, Abidjan et Conakry, ce n’est pas une génération qui nous sépare, ce n’est pas 30 ans qui nous sépare. C’est plus.
Comment réagissez-vous quand il dit que la Guinée a plus de financements que tous les pays de la sous-région ?
S’il dit cela, ça nous fait mal. Mais si la Guinée a plus de financements que tous les autres pays voisins, mais ils font quoi avec ces financements ? Où ils les gardent ? Ce n’est pas le financement qu’a le pays qui nous intéresse, mais c’est sa répercussion sur la vie des citoyens. Par contre, s’il y a financement et qu’un groupe de personnes s’enrichit de cela, cela n’est pas un financement. Mais avec les financements, les fonds s’écroulent, on ne voit rien. Mais on finance quoi ? Pas de logements sociaux, pas d’infrastructures socioéconomiques de base. Donc, je ne sais pas de quel financement il parle. J’aimerais vous lui posez la question, comme la Guinée a plus de financements que les autres pays de la sous-région, qu’il nous donne les statistiques par pays afin de comparer.
Parlons un peu de la campagne d’assainissement. Certainement il y a un fond alloué à cela. Est-ce qu’aujourd’hui, l’image de la capitale guinéenne reflète le concept : ville propre ou s’agit-il d’un autre moyen d’enrichissement ?
Jusque-là, le gouvernement ne veut pas résoudre le problème d’ordures. Parce que ce problème devrait être celui des collectivités décentralisées, les communes, les quartiers. Mais si le gouvernement continue à parler de : Conakry, ville propre et gérer les fonds, moi je vois une manière d’enrichir un groupe. Sans quoi, c’est très facile de rendre un chef de quartier responsable de son quartier ainsi que le maire responsable de sa commune. Parce que c’est nous qui produisons la saleté et c’est à nous de résoudre ce problème. C’est à nous il faut donner des moyens pour faire face à ça. Mais si on confie le problème à un gouverneur ou à un ministre, c’est qu’on ne veut pas le résoudre. C’est une source de revenu pour certains. Donc on ne veut pas que ça soit résolu parce que si c’est réglé, l’année prochaine, il n’y aura pas argent. Mais le jour auquel on voudra que la question de l’assainissement soit réglée, on la confiera aux Communes.

Propos recueillis par Gassime Fofana

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