Dr A. Makanera Kaké : « je préfère des saignées financières pour sauver des vies »

La chaîne de propagation de la pandémie de Covid-19 continue de prendre de l’ampleur en Guinée. Aujourd’hui, plus de 120 cas sont confirmés et plusieurs cas suspects sont enregistrés. Face à cette menace sanitaire, le gouvernement a décrété des mesures pour stopper l’évolution du virus dont la limitation de passagers à 3 par taxi, la fermeture des lieux de culte et des écoles. Mais ces mesures ne sont malheureusement pas accompagnées de conditions sauf cette légère baisse du prix du carburant de 10.000 à 9.000 francs guinéens le litre. En analyse de cette actualité, Dr Makanera Kaké, spécialiste des Finances publiques, décortique la position de l’État, l’anarchie autour des prix de transport et les conséquences de la baisse du prix du carburant. A livre ouvert !

www.ledeclic.info : depuis quelques jours, la Guinée est frappée par le Covid -19 qui affecte tous les secteurs d’activités. Comment appréciez-vous la politique mise en place pour gérer une telle réalité ?

Dr A. Makanéra Kaké : en Guinée, on n’a pas une politique sociale élaborée pour permettre aux autorités de soutenir le peuple en cette période de crise. L’unique politique que le gouvernement peut appliquer et qui peut toucher le pauvre, c’est la taxation de l’énergie. Quand on baisse le prix du carburant, le pauvre peut profiter. Primo, il va voir ça dans le transport. Enfin, sur les denrées de première nécessité. Mais c’est injustement et illégalement reparti. Ce sont les riches qui gagnent plus, parce que celui qui peut aller à la station prendre 50 litres, si on réduit de 30% , il va gagner plus sur le dos de l’État que cette pauvre femme qui paie juste le transport qui était à 1500gnf et qui ne peut, peut-être bénéficier que de 500 francs de réduction. Donc vous voyez plus on est riche, plus on consomme et moins on paie l’impôt. Alors que dans d’autres cas, on profite moins de l’État. Mais malheureusement, quel que soit ce qu’on dira , la politique pétrolière est l’unique instrument dont le gouvernement dispose pour que le pauvre puisse être atteint par sa politique.

Récemment, on a donc été témoin d’une baisse du prix du carburant à la pompe de 10000 à 9000 gnf. Est-ce que cela est suffisant pour faire face aux charges de l’Etat sans détériorer davantage les conditions de vie ?

Vous savez, à sa naissance, la taxe sur le produit pétrolier était essentiellement destinée à financer le déficit exceptionnel provisoire , mais l’initiateur de cette politique a souligné que c’est une taxe qui nuit à la croissance. Cela signifie que si on ne manipule pas bien, on peut tuer l’économie avec. Donc tel que nous sommes entrain de faire, il y a des inquiétudes. D’abord les mesures prises par rapport au Covid – 19. Je me demande comment elles pourraient être respectées et appliquées, car quand on demande aux chauffeurs de taxis de prendre 3 passagers uniquement, et on réduit le litre à 9000gnf, l’excédent sera supporté par les transporteurs. Ça va appauvrir davantage les gens déjà pauvres, cela va également accoucher d’une conséquence négative sur la production et la commercialisation, parce que tout va augmenter et ça va rendre plus pauvre et compliquer la lutte contre la maladie.

Que devrait faire l’État alors ?

 

La problématique de l’énergie est une question d’ordre général. On ne peut pas regarder d’un seul côté , c’est multidimensionnel. Aujourd’hui, le brut est vendu autour de 20 dollars. Cela constitue une réduction de 71% par rapport au prix pratiqué en Guinée. Quand c’était à 80 dollars, on vendait à 9000gnf. Si on est à 20 dollars, on vend à 9000gnf , c’est qu’il y a problème, et on ne peut plus dire qu’on tient compte des mécanismes du marché international .

Le ministre des hydrocarbures a récemment déclaré que si on fixe un prix inférieur à celui des pays voisins cela peut provoquer un tarissement de nos réserves de devises. Quel est votre avis sur la question ?

Lorsqu’on fixe un prix inférieur au prix pratiqué par les pays voisins, le risque que court la Guinée , c’est les trafics sur le carburant, parce que nous avons des frontières poreuses. C’est possible parce que certains vont en profiter pour aller revendre dans ces pays frontaliers. Cette conséquence existe, et elle sera financièrement beaucoup plus importante pour l’État, parce que finalement, l’État va financer les pays voisins qui achètent à partir du trafic. Mais au regard des réalités  et de la politique du Pouvoir en cette période de pandémie, on peut déduire que ce qui intéresse le gouvernement, c’est la dimension financière. Alors que l’impôt, j’insiste là-dessus a trois dimensions : financière, économique et sociale. Il ne faudrait pas que l’avantage d’un prélèvement fiscale surpasse l’inconvénient social. En toute franchise, il suffit de savoir si nous voudrons avoir de l’argent ou si on veut sauver des vies et lutter contre la pauvreté ? Si on veut de l’argent, on maintient à 9000gnf. Mais si on veut lutter contre la maladie et la pauvreté, on doit baisser le prix. C’est une question de choix. C’est très simple. Parce que si on maintient le prix à 9000gnf, les gens ne pourront plus se déplacer et on finira par tuer le transport.

Quel regard portez-vous sur la gestion du Coronavirus par les autorités guinéennes ?

Ce qui est regrettable, c’est qu’on a une mémoire courte. Ebola vient de finir avec nous. Une autre maladie ne devrait pas nous surprendre socialement, techniquement, financièrement parce qu’on sait que c’est possible. Je me demande ce que Ebola nous a apporté de positif ? Ce que la maladie pouvait apporter de positif, c’était de nous préparer contre une autre maladie. Mais vous verrez que les véhicules, les 4×4 , les produits et équipements, on n’a pas pu les conserver. C’est vraiment dommage.

Votre mot de la fin

Je voudrais dire que je préfère les saignées financières pour sauver des vies parce que l’économie est au service de l’homme. Mais il ne faut jamais laisser des personnes mourir pour un équilibre économique qui n’est que  conjoncturel. Même l’économie mondiale n’est pas une économie stable. Ce qui fait que tout le monde devrait oublier l’équilibre des finances publiques pour le bien-être social c’est-à-dire la santé , qui est un droit.

Propos recueillis par Gassime Fofana

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